Impeccables comme à leur habitude lors de la spectaculaire procession de l'ordre de la jarretière le 18 juin, le prince Edward, troisième fils et benjamin des enfants de la reine Elizabeth II, et son épouse la comtesse Sophie de Wessex, qu'on a retrouvée depuis aux courses à Ascot, pouvaient à bon droit afficher de larges sourires lors de cette grande réunion de famille rituelle : non seulement le couple a servi sans faille la monarque et le royaume en cette année de jubilé de diamant de la souveraine, mais il est également parvenu à désamorcer avec prestance un imbroglio diplomatique très délicat.
Après avoir parcouru avec beaucoup de succès les Caraïbes en février-mars en représentation d'Elizabeth II pour la célébration dans le Commonwealth de ses soixante ans de règne, le comte et la comtesse de Wessex, 48 et 47 ans, étaient du 11 au 13 juin dernier en visite officielle à Gibraltar, également à l'occasion du jubilé de diamant de la reine (dont ils ont honoré début juin avec l'ensemble de la famille royale le "central week-end" de célébrations à Londres). Un déplacement qui avait été à l'origine d'un vif regain de tension entre les deux royaumes. Car, un peu à l'image du regain d'animosité de l'Argentine en début d'année en raison de la mission du prince William dans les Malouines, une plaie encore à vif dans les relations entre la Grande-Bretagne et le pays sud-américain, l'épisode Gibraltar, supposé être l'une des festivités internationales du jubilé, a en fait été le prétexte à raviver de vieilles rancoeurs. La querelle historique remonte au traité d'Utrecht ratifié en 1713, dans lequel l'Espagne cédait le rocher, pris par les forces anglo-néerlandaises en 1704, à la Grande-Bretagne : après avoir tenté de reprendre le territoire par la force à la fin du XVIIIe siècle, l'Espagne n'a eu de cesse d'en revendiquer la souveraineté et d'en réclamer la rétrocession, en vain (d'autant que la majeure partie de la population autochtone y est opposée). Et à l'occasion de la venue des membres de la famille royale, le gouvernement ibérique a monté en épingle cette vieille rancune tandis qu'un désaccord sur les droits d'exploitation des eaux territoriales de Gibraltar alimentait les gazettes, l'Espagne revendiquant le droit d'y pêcher tandis que les Britanniques maintenaient que seuls des pêcheurs britanniques y étaient autorisés - ce qui donna lieu à un face-à-face entre bateaux de pêche ibériques escortés par les gardes-côtes et la police de Gibraltar. Le climat est devenu si houleux qu'il a poussé la reine Sofia d'Espagne, sous la pression de la classe politique, à se décommander à la dernière minute pour le déjeuner royal du jubilé de diamant d'Elizabeth II à Windsor, en mai. Le scandale était alors au plus fort...
Mais le prince Edward et la comtesse Sophie ont refusé de prêter le flanc à l'embrouille, ne renonçant pas à leur déplacement et opposant leur silence à toutes les questions des journalistes sur le dossier sensible. Et ils en ont été bien récompensés : l'accueil réservé par les habitants de Gibraltar aux émissaires de la reine a été extrêmement chaleureux. Présents en très grand nombre, quelle que soit leur nationalité, et unanimement ravis, les locaux ont brandi des drapeaux et acclamé Edward et Sophie au fil de leurs multiples obligations (ensemble et séparément), tout particulièrement lorsqu'ils ont descendu la rue principale.
"La visite royale à Gibraltar n'était pas le moins du monde tendue", titrait après coup le site theolivepress.es, estimant même au contraire que le voyage du comte et de la comtesse "n'aurait pas pu se faire plus en douceur" et soulignant le soutien colossal et incontestable de la foule. Le média ibérique a notamment souligné la douceur, digne de Lady Di, de Sophie de Wessex lors de sa longue rencontre avec des enfants d'une crèche du quartier aux jardins d'Alameda, où le prince et elle venaient inaugurer une plaque commémorative. Le prince Edward, lui, a brillé par une décontraction qui le rapproche de son aîné le prince Charles, se fendant, à propos de la plaque nouvellement dévoilée, d'un "elle est pas mal, n'est-ce pas ?" qui a bien fait rire la foule.
Dix ans après un référendum sur une proposition de souveraineté partagée par le biais duquel les quelque 28 000 résidents de Gibraltar avaient massivement (à 99% !) affirmé leur allégeance au royaume britannique, leur loyauté s'est à nouveau manifestée sans l'ombre d'un doute. Un patriotisme qui a atteint son apogée lors de la parade royale organisée lors de la venue d'Edward et Sophie. Parmi ces fidèles sujets de Sa gracieuse Majesté la reine Elizabeth II se trouvaient même des personnes qui étaient présentes lors de la visite de la toute jeune monarque en 1954, lors de la deuxième année de son règne - une visite qui, déjà, avait heurté la sensibilité espagnole et poussé le général Franco a isolé Gibraltar pendant dix-huit mois en représailles. "Merci d'être venus, cela représente tellement, pour nous", a ainsi témoigné une certaine Victoria Pitalya, âgée de 93 ans, aux visiteurs anglais. Et d'ajouter : "C'était aussi un grand jour, en 1954. Rien n'a vraiment changé depuis, sinon que j'étais à l'époque un peu plus alerte." Rien n'a changé, y compris les intimidations du voisin espagnol : "C'est une tactique courante des Espagnols pour nous punir quand bon leur semble", a expliqué une mère de 47 ans, parlant des ralentissements du trafic et les retards à la frontière de Gibraltar.
Rien n'a donc pu entraver la réussite de cette venue royale sur "The Rock", puisque, pour reprendre les mots du ministre en chef Fabian Picardo, "Gibraltar place sa 'britannicité' au-dessus de tout" et a été ravi "d'accueillir le comte et la comtesse de Wessex pour témoigner sa loyauté et son affection envers la couronne britannique". En réponse à une lettre de félicitations adressée à la souveraine par Picardo au nom de tous les habitants de Gibraltar, Elizabeth II avait d'ailleurs envoyé ses meilleurs voeux à tous. L'histoire d'amour continue, ignorante des tourments de l'histoire.