Une Palme d'or de l'ennui ou magique, la célébration du cinéma français et la rareté des stars sur le tapis rouge cannois, voilà ce qui ressort de cette 63e édition du prestigieux festival de Cannes. Après la frénésie de la Croisette vient l'heure des comptes-rendus faits par la presse.
La Palme d'or controversée
Le jury du 63e festival de Cannes présidé par Tim Burton a dévoilé son palmarès lors de la cérémonie de clôture le 23 mai. Animée par Kristin Scott Thomas, cette fête du cinéma a choisi de décerner la palme d'or au Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul (à qui l'on doit Tropical Malady) pour le film Oncle Boonmee, celui qui se souvenait de ses vies antérieures.
Comme toute Palme, celle de cette année divise, comme l'avait fait l'austère Le Ruban Blanc de Michael Haneke en 2009. Certains, comme Libération, louent Oncle Boonmee comme "artistiquement pur et moderne" et le qualifient d'oeuvre "magique et déroutante".
Cependant, nombreux sont les médias qui n'ont pas été sensibles à cette rêverie très contemplative qui raconte l'histoire d'un homme gravement malade décidant de finir ses jours à la campagne auprès des siens. Peu de gens ont vu cet Oncle Boonmee et peu l'ont aimé, dit-on à Cannes.
Pour Le Figaro, il s'agit de la Palme de l'ennui, "un film hermétique, lent et au symbolisme obscur [...] dont on se demande à qui il s'adresse". Quant à L'Express, les mots sont durs également : "Palme faussement branchée, limite ridicule." L'avis du Parisien est moins brutal et considère ce prix comme une "Palme de l'étrange" qui récompense "un apôtre du cinéma expérimental, [...] bref, pas du tout grand public".
"Ça dit plein de choses, mais ça ne raconte rien", dit Fabrice Leclerc, rédacteur en chef de Studio Ciné Live sur France Info à propos du film. D'un côté, cette Palme correspond à "l'univers de Burton", lui aussi très réceptif à l'onirisme, comme l'explique Leclerc, et permet, selon le président du jury, de mettre en avant un cinéaste surtout connu des cinéphiles : une "palme de la découverte" en quelque sorte, dont "on pourrait se souvenir dans dix ans", peut-on entendre sur France Info. En tout cas, la Palme aura ouvert des portes à Weerasethakul qui a du coup trouvé un distributeur français une fois la soirée terminée ! Le succès ne sera peut-être pas au rendez-vous au box office mais sa visibilité aura été accentuée.
Qui aurait donc mérité le plus la Palme alors ? Another Year de Mike Leigh qui avait reçu la Palme en 1996 avec Secrets et mensonges, faisait partie des préférés, tout comme Des hommes et des dieux qui a aussi reçu le prix du jury oecuménique. Poetry de Lee Chang-dong faisait également partie des favoris et a finalement récolté le prix du scénario. Route Irish, le film de Ken Loach, qui a rejoint la sélection au dernier moment, sera lui rentré bredouille.
Le sacre des Français
Sur les neuf récompenses que le jury a décernées, quatre ont été remises à des Français. En premier lieu, la Palme d'or du court métrage pour Chienne d'histoire de Serge Avédikian, puis le prix de la mise en scène à Mathieu Amalric pour Tournée, le Grand Prix du jury à Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, et le prix d'interprétation féminine à Juliette Binoche dans Copie Conforme.
Ces films se sont distingués parmi une sélection souvent sombre, tourmentée par les difficultés du monde que ce soit la crise économique, la pauvreté, la guerre ou encore les sans-papiers. "Il a manqué des films majeurs et très attendus qui n'ont pas été terminés à temps pour Cannes [comme Tree of life de Terrence Malick]", note The Hollywood Reporter et pour ce magazine américain, le cru 2010 fut "moins électrique et controversé que celui de l'an passé".
La performance solaire de Juliette Binoche, le new burlesque d'Amalric et la grâce Des hommes et des dieux ont illuminé ce palmarès en donnant la part belle aux Français. Toutefois, les trois lauréats font l'éloge de la diversité, de la pluralité des mondes qui se rencontrent. En effet, Des hommes et des dieux raconte la vie de moines chrétiens dans un pays musulman, l'Iranien Abbas Kiarostami dirige Juliette Binoche en Italie et Amalric raconte la tournée de stripteaseuses américaines jusqu'à Paris.
Les Hors-la-loi de Rachid Bouchareb (Indigènes) n'ont quant à eux rien récolté. La polémique qui a précédé le film a fait du bruit mais l'oeuvre en elle-même, saga de trois frères algériens, n'a pas séduit les jurés, ni la presse. Les critiques ne sont pas bonnes et le film aura du mal à trouver son public...
Un déficit de stars hollywoodiennes
Qui dit Cannes, dit tapis rouge glamour. L'édition 2010 n'aura pas vraiment brillé de stars qui ont foulé les marches. Certes, on a pu admirer Michael Douglas et l'équipe de Wall Street 2 et la sublime Naomi Watts ou encore Cate Blanchett et Salma Hayek. Néanmoins, le déficit de stars a été flagrant : pas de Sharon Stone au gala de l'amfAR, pas de couple ultra-hollywoodien comme Brad Pitt et Angelina Jolie l'an dernier... Côté monstres sacrés français, on a eu le droit à Alain Delon et Gérard Depardieu, mais pas d'Isabelle Adjani... Jennifer Lopez, Marion Cotillard ou encore Lionel Richie étaient dans les soirées du sud de la France, non loin de Cannes, mais ne sont pas venues sur la Croisette...
Pour expliquer la rareté hollywoodienne d'une part, certains avancent la faute à la sélection : un seul film américain était en compétition pour la palme d'or : Fair Game de Doug Liman avec Naomi Watts et Sean Penn. Mais même ce dernier n'était pas à Cannes...
On regrette également que Javier Bardem, prix d'interprétation (ex aequo avec Elio Germano pour La Nostra Vita) pour Biutiful n'est pas gravi les marches avec son amore Penélope Cruz. Cependant, les larmes de sa bien-aimée lors du sacre de Bardem pendant la cérémonie de clôture en ont ému plus d'un.
Des Français aux anges, un festival de Cannes en demi-teinte pour certains, une Palme d'or ennuyeuse pour d'autres... Cannes ne fera jamais l'unanimité ! Retrouvez les photos des lauréats ci-dessus.
Samya Yakoubaly