Malgré d'inévitables signes de protestations à la venue de la représentante du vieil ennemi anglais, la reine Elizabeth II, qui a entrepris mardi et jusqu'à vendredi une visite cruciale en Irlande, est en passe de réussir sa mission : sceller enfin la réconciliation entre la couronne et son ancienne colonie, devenue indépendante en 1922 au termes de siècles d'une hégémonie anglaise houleuse.
Reçue par la présidente Mary McAleese dès son arrivée mardi en fin de matinée, accompagnée de son époux le duc d'Edimbourg et dans un contexte tendu émaillé d'alertes à la bombe (8 000 policiers et 2 000 militaires étaient sur le pied de guerre, la monarque, qui effectue là la première visite d'un souverain anglais en exercice en un siècle - 100 ans précisément après la visite de son aïeul George V, en 1911 -, a multiplié les gestes marquants.
Après avoir déposé une gerbe au Jardin du Souvenir mardi dans l'après-midi afin d'honorer la mémoire des victimes de la guerre d'indépendance, dans la journée de mercredi, elle s'est notamment rendue à Croke Park, le formidable stade de la capitale, Dublin, pour y commémorer le massacre perpétré en 1920 par la police britanno-irlandaise et demeuré tristement célèbre sous le nom de Bloody Sunday. Le même jour, Elizabeth II saluait la mémoire des soldats irlandais trépassés lors de la Première Guerre mondiale sous l'uniforme britannique.
Reçue à dîner mercredi soir au château de Dublin, ancien fief du gouvernement britannique, la reine Elizabeth II a continué de marquer des points, prononçant un discours puissant, mêlant sincères et touchantes excuses au regard du passé, compassion, et désir d'amitié pour l'avenir : "Au bénéfice du temps, avec le recul, on peut distinguer toutes les choses qu'on aurait souhaiter faire différemment ou ne pas faire du tout. A tous ceux qui ont souffert par la faute de notre passé tourmenté, j'adresse mes pensées les plus sincères et ma profonde compassion", a-t-elle notamment souligné.
Et tandis que sa visite bénéficie de l'approbation de 81% des citoyens irlandais, l'exercice, en présence du Premier Ministre britannique David Cameron, a atteint son objectif et a été unanimement salué : "Je crois que l'expression de sa sincère compassion pour ceux qui ont souffert du fait de notre passé tourmenté est authentique", a réagi Gerry Adams, dont le parti milite pour la fin de l'autorité britannique sur l'Irlande du Nord et qui avait jugé "prématurée" la venue de la reine.
Imperméable aux dizaines de manifestants hostiles s'agitant devant le château, la monarque, vêtue d'une robe flanquée d'une harpe irlandaise (après voir arboré les couleurs nationales le mardi), a marqué l'esprit de ses hôtes en entamant son discours en gaélique ("A hUachtarain agus a chairde" - "Président, mes amis"). Insistant sur le fait qu'il est impossible d'ignorer "le poids de l'histoire" mais aussi sur l'importance de "l'indulgence et de la réconciliation", sur celle de savoir "supporter le passé sans en être esclave". Une référence à sa souffrance personnelle a été interprétée comme une allusion au meurtre, en 1979 en Irlande, du comte Mounbatten, l'oncle de son époux le prince Philip.
Insistant sur l'esprit d'amitié qui règne désormais entre les deux peuples, les deux nations, elle a martelé : "Personne ici ce soir ne peut douter de ce désir qui anime le coeur de nos deux nations."
Son déplacement en Irlande avec son mari le duc d'Edimbourg est toutefois le prétexte à des moments plus légers : comme cette découverte de la brasserie des bières Guinness, fierté nationale à la robe impétueusment brune et passage obligé de tous les touristes à Dublin, qui a ravi le couple royal mercredi !
Ou encore, jeudi, la visite des haras nationaux irlandais à Kildare, le pays étant rien moins que le troisième au monde en termes d'élevage de pur-sang, fournissant 40% de la production totale de l'Union européenne et de beaux champions qui s'illustrent dans les courses les plus prestigieuses (comme l'Arc de Triomphe). La visite a été émaillée d'un incident insolite : devant la monarque, passionnée de chevaux de race, un magnifique spécimen s'est cabré, provoquant un court moment d'inquiétude. Une manière de faire une haie d'honneur à sa prestigieuse visiteuse ?
Vendredi, d'autres attractions touristiques attendent le couple royal, notamment la découverte du Rocher de Cashel.