C'était il y a presque 40 ans, et pourtant, les mélodies résonnent encore dans la tête de ceux qui les ont connues à cette époque. "On est rattaché à un passé, à une enfance, une adolescence, il y a une envie de garder ça intact, comme ses peluches, des choses qui nous rassurent." Sur le plateau d'Un monde un regard sur Public Sénat, Elsa pose des mots sur ce sentiment : "il y a une nostalgie", résume celle qui fête ses 51 ans ce lundi 20 mai 2024. "On est rattachés", dit-elle comme si inconsciemment, elle évoquait avec elle celles et ceux qui ont bercé notre enfance. Et comment ne pas voir dans ce "on" l'autre adolescente de ces années-là : Vanessa Paradis.
Quelques notes de piano sur des accords mineurs. Image sombre et tons gris bleu à l'intérieur d'une gare. Dans un train, un homme, joué par Christophe Malavoy, marié désormais depuis plus de 40 ans, peine à contenir ses larmes. Il observe à la dérobée une femme restée sur le quai, incarnée par la regrettée Jane Birkin, dont la disparition reste traumatisante pour sa fille Charlotte. Leurs regards se cherchent mais ne se croisent pas. C'est la fin d'une histoire. La mélodie se poursuit. Fondu enchaîné sur le visage d'une jeune fille. Il apparaît en très gros plan sur fond noir. Nous sommes en octobre 1986 et la France s'apprête à faire la connaissance d'Elsa. T'en vas pas, sera la bande son mélancolique de cet hiver 86-87, le reflet d'une époque marquée par la crise, celle de l'économie, celle du couple aussi, qu'illustre si bien cette chanson sur le divorce. Le titre restera huit semaines numéro un au Top 50 et à jamais dans les esprits.
Avril 1987, changement de décor. L'image est encore sombre lorsqu'un taxi déboule dans la nuit. Et soudain, un rythme ensoleillé. Du mambo. La couleur surgit, la voiture filmée en noir et blanc devient jaune ! Une nouvelle jeune fille, encore sur fond noir, se déhanche à côté de ce véhicule qui appartient à Joe et qui va pas partout. Elle s'appelle Vanessa Paradis. En quelques semaines, elle se hisse à son tour au sommet du classement des meilleures ventes de disques. Elle y restera tout l'été... Quant aux sommets, elle les tutoie encore !
Elsa, Vanessa. La première, née le 20 mai 73. La seconde, le 22 décembre 72. Cinq petits mois d'écart seulement. Une mère peintre et sculptrice pour l'interprète de T'en vas pas. Un père peintre et sculpteur pour celle de Joe le taxi. Deux adolescentes, enfants de la balle qui déboulent au milieu des Jeanne Mas, Goldman, Sardou, Jarre ou autres Johnny qui trustent alors les charts. Il n'en fallait pas plus pour qu'entre ces deux jeunes femmes le jeu des comparaisons débute. Ok, Podium, Top 50 magazine, la presse d'alors s'en donne à coeur joie, qui n'en finit pas de propulser sur ses couvertures ces deux jeunes starlettes...
Dans son premier clip, Elsa, brune, immobile porte un col roulé noir quand Vanessa, blonde se trémousse en sweat coloré. La première ne va jamais se départir de son image de chanteuse romantique incarnée à la perfection par Un roman d'amitié duo si sage qu'elle forma avec le chanteur américain Glenn Medeiros. La seconde, elle, jouera les lolitas rock, moue boudeuse, mini-jupe sur scène. Son histoire d'amour avec Florent Pagny, de 11 ans son aîné, fera scandale et choquera l'opinion. Après lui viendra Lenny Kravitz, puis une collaboration avec Serge Gainsbourg. Deux femmes. Deux styles. Ils mèneront l'une dans les bras d'un footballeur basque, apaisé, surfeur doux au coeur tendre : Bixente Lizarazu, qui a conservé de jolis liens avec elle. La seconde, dans ceux d'un comédien américain aussi génial que sulfureux et destructeur, comme lors de ce tournage en France : Johnny Depp.
Le feu, et la glace, donc. Deux stars que tout oppose... mais qui en dépit des apparences et contrairement à ce que veulent faire croire les médias à l'époque, ne s'opposent pas l'une à l'autre. "Je ne comprends toujours pas pourquoi, avouait Elsa au Point en 2019, car nous étions très différentes l'une de l'autre, il y avait de la place pour tout le monde."
Cette rivalité montée de toute pièce va être particulièrement nocive pour Vanessa Paradis chez qui beaucoup ne veulent voir qu'un produit marketing quand Elsa semble incarner une authenticité. En janvier 1988, lors du Marché international de l'édition musicale (Midem) l'interprète de Joe le Taxi est humiliée sur scène par un public de professionnels. "Horrible, se remémorait la maman de Lily-Rose, en 2019 dans les colonnes du Monde. J'étais en direct, j'essayais de chanter, sous les huées, les gens me jetaient des bouchons de bouteilles, des trucs qui faisaient mal. Je n'entendais pas la musique. Mais j'entendais les insultes". En pleurs, la chanteuse rejoint sa loge où sa mère tente de la réconforter. "C'était atroce pour eux de voir tout le pays taper sur leur enfant. J'étais une crotte. Une minicrotte." conclut Vanessa Paradis.
Epargnée par ce déferlement de haine, Elsa, qui a pris il y a quelques mois une décision choc, compatit. Et alors qu'on les dit soeurs ennemies, elle lui vient même en aide. "Ça a été terrible et injuste pour Vanessa, on en parlait toutes les deux. C'était déséquilibrant parce que nous étions très jeunes. Cette période de l'adolescence reste un repère pour nous, on fait partie de la vie de l'une et de l'autre, ça a été tellement fort, j'ai beaucoup d'affection pour elle." confiait-elle encore au Point en 2019.
Quelques années auparavant, pour le site Doolittle, la chanteuse devenue comédienne et qui vit désormais avec un homme plus jeune qu'elle, était aussi revenue sur la difficulté d'évoluer dans ce contexte d'une compétition inventée. "Pour nous c'était chiant. Parce que ce n'était pas le cas dans la vie. On se parlait souvent au téléphone, parce que ce qu'on vivait était très pénible".
En novembre 1990, alors qu'elle s'apprête à monter pour la première fois sur la scène de l'Olympia, Elsa avait même convié Vanessa à venir à ses côtés : Peine perdue. "Elle m'avait dit : "Je m'excuse, j'aimerais beaucoup venir, mais si je viens, je vais me faire lyncher." "À l'époque, conclut Elsa, Vanessa était dans un truc très angoissé et très angoissant. Autour de moi, il y avait quelque chose de très bienveillant, tandis qu'elle, elle vivait dans un climat agressif très traumatisant. Ce qu'elle a vécu à 14 ans, je ne le souhaite à personne."
À l'en croire, l'ambiance était donc on ne peut plus cordiale, pour ne pas dire amicale entre elles. Et pourtant, en 2014, une biographie de Vanessa Paradis vient jeter une ombre au tableau. Dans Vanessa Paradis, la vraie histoire (Flammarion), l'auteur Hugues Royer raconte qu'avant de se mettre en couple avec Vanessa Paradis, Florent Pagny semblait très attiré par Elsa. Le chanteur, qui vient de faire son retour en France, fait la connaissance des deux jeunes femmes en Floride à l'occasion d'un show télé. Elsa semblait craquer pour le beau rebelle à la voix de baryton et l'attirance semblait réciproque. Elsa, écrit l'auteur, "était toujours collée à ses basques parce qu'il était mignon, charmeur et super-cool. Elle lui faisait un vrai numéro de charme (...) Le contraire de Vanessa, qui se tenait à l'écart, toute timide".
L'auteur décrit même une scène de jalousie qui se serait produite à l'époque et dont s'était souvenu le photographe Bernard Mouillon. Convaincue que Pagny préfère Elsa, Vanessa s'était lamentée en ces termes auprès du professionnels de l'image. "Florent il m'aime pas. Il est toujours avec Elsa, il ne fait pas attention à moi".
Le biographe raconte que suite à cette réflexion, le photographe avait joué les entremetteurs et que quelques minutes après, Pagny donnait son numéro à Vanessa en lui proposant de la revoir à Paris. On connaît la suite, qui ne s'est pas très bien passée pour Pagny... Il faut donc croire que Vanessa n'aura pas tenu rigueur à sa supposée rivale d'avoir craqué sur un homme qui allait devenir le sien. Quant aux deux jeunes artistes, elles allaient poursuivre chacune leur carrière. Deux réussites, sans haine, ni rancune...