Au lendemain d'une cérémonie privée réservée à la famille et à quelques dizaines de personnalités politiques, discrètement organisée en la chapelle cryptique de St Mary Undercroft au palais de Westminster, le décorum et l'emphase des grands adieux étaient à l'ordre du jour à Londres mercredi 17 avril 2013 pour les obsèques cérémonielles de Margaret Thatcher, ancien Premier ministre emblématique et icône controversée, décédée le 8 avril à l'âge de 87 ans.
Dans un climat étrange, à la fois respectueux et délétère, avec pour décor des tensions ravivées par la lourde facture (plus de 11 millions d'euros, soit 3 de plus que pour la reine mère, en 2002 !) imposée aux contribuables pour ces honneurs majestueux qu'ils sont loin de cautionner à l'unanimité, The Iron Lady a reçu le dernier hommage de près de 2 300 personnalités - dont la reine Elizabeth II et son mari le duc d'Edimbourg - en la cathédrale Saint Paul de Londres, avant sa crémation, en privé.
A Dame de fer, exigences de fer, protocole de fer, bras de fer
Conformément à ses dernières volontés, Margaret Thatcher s'est vu accorder pour son dernier voyage les honneurs militaires, marque de révérence suprême à laquelle seules les personnalités à la dimension exceptionnelle sont éligibles. En revanche, comme dans le cas de son illustre (et admiré) prédécesseur Winston Churchill, qui avait eu droit à toute la pompe d'obsèques dites nationales, la défunte, qui avait souhaité être célébrée en la cathédrale Saint Paul et que son corps n'y soit pas exposé au public, a eu droit au mutisme des cloches de Big Ben lors du service, dont la reine Elizabeth II était la première spectatrice - un engagement pas anodin de la part de la monarque, qui n'avait plus assisté aux funérailles d'un Premier ministre depuis celles de Churchill en 1965.
Le cercueil de la Dame de fer, couvert de l'Union Jack et orné d'une couronne de fleurs blanches, avait été acheminé mardi après-midi au palais de Westminster, siège du Parlement britannique, depuis un lieu où il avait été conservé dans le plus grand secret. Ses enfants, Sir Mark Thatcher, avec son épouse Sarah et leurs enfants Michael (24 ans) et Amanda (19 ans), et Carol Thatcher, venue de Suisse avec son compagnon, ont alors pu se recueillir en la chapelle St Mary Undercroft, où la dépouille a ensuite passé la nuit sous la surveillance de l'aumônier de la chambre basse du parlement, le révérend Rose Hudsin-Wilkin.
48 heures après une répétition générale accomplie avec succès, tandis que les enfants de la défunte mettaient la dernière main aux préparatifs, le cercueil pouvait commencer son périple, et la parade funèbre orchestrée par le major Andrew Chatburn, déjà à l'oeuvre en avril 2011 pour le mariage du prince William et de Kate Middleton et en juin 2012 pour le jubilé de diamant de la reine Elizabeth II, investissait mercredi matin les rues de Londres. 4 000 policiers assuraient le service d'ordre. Pendant ce temps, la cathédrale Saint Paul accueillait progressivement 2 300 invités de marque, au premier rang desquels la reine Elizabeth II (qui entretenait notoirement des relations plutôt fraîches avec la première femme Premier ministre du Royaume-Uni) et son époux le duc d'Edimbourg, mais aussi des célébrités telles que la cantatrice galloise Katherine Jenkins. A noter également, la présence de Sarah Ferguson : la duchesse d'York, paria de la famille royale, n'avait plus participé à un événement public en présence de la reine Elizabeth II depuis son divorce avec le prince Andrew en 1996... Au nombre des officiels présents, le Premier ministre conservateur David Cameron, qui a multiplié les déclarations hagiographiques ces derniers jours, était évidemment là, avec son épouse Samantha, au premier rang, à l'instar de John Major, qui avait succédé à la défunte au 10, Downing Street. Le maire de Londres Boris Johnson, Tony Blair et sa femme Cherie, Gordon Brown, Ed Miliband, bref, tous les ex-Premiers ministres aussi. En fait, un regard vers l'assistance livrait un panorama sans pareil des trois dernières décennies de la vie politique britannique. En revanche, seuls deux chefs d'Etat avaient fait le déplacement, et la plupart des pays, à l'image des Etats-Unis dont aucun des anciens présidents conviés n'a honoré l'invitation, ont dépêché des représentants.
De messages de haine en messages d'amour : un instant de grâce nommée Amanda Thatcher
Le cercueil de Margaret Thatcher, surmonté d'un bouquet de roses blanches accompagné d'un mot manuscrit ("à notre mère bien aimée, pour toujours dans nos coeurs") de ses jumeaux Mark et Carol, a dans un premier temps quitté le palais de Westminster pour rallier en corbillard l'église Saint Clement Danes, chapelle de l'Armée de l'air, en passant devant le Cénotaphe, croisant Downing Street et traversant Trafalgar Square. Puis, placé sur un affût de six canons, tiré par six chevaux noirs de l'artillerie royale et escorté par 700 militaires formant une haie d'honneur sur le parcours long de 1,9 km, il achevait sous les yeux de 250 000 personnes et au son des marches funèbres de Chopin, Beethoven et Mendelssohn son parcours jusqu'à la cathédrale Saint Paul, où des vétérans de la guerre des Malouines le portaient à l'intérieur et où le nouvel archevêque de Cantorbéry, Justin Welby, était en charge de l'office. Elle voulait une cérémonie apolitique, mais l'évêque de Londres Richard Chartres a évoqué "l'ouragan d'opinions conflictuelles autour de Mme Thatcher". Le service religieux n'est pas conçu pour "passer des jugements, ce qui est le propre des politiciens" mais pour favoriser "la compassion et réconciliation", a-t-il ajouté. Pourtant, aux abords du parcours du cortège et de la cathédrale Saint Paul, les messages et épitaphes haineux étaient bel et bien au rendez-vous.
Amanda Thatcher, petite-fille âgée de 19 ans de la défunte, était chargée de lire un extrait des Evangiles et a fait forte impression sur l'assemblée, s'acquittant, avec un accent américain, à la perfection de sa mission. Le genre de moment de grâce capable de faire oublier le bruit et la fureur autour.