Il est, et restera, le pied-noir le plus célèbre du cinéma français. Avec Roger Hanin, mort ce mercredi 11 février 2015, se tourne une page du Septième Art et de la télévision française. Hanin n'était certes pas Gabin, Delon ou Belmondo (encore que, pour Alexandre Arcady, qui a eu le bonheur de le diriger, "il était de la même trempe"). Sa gouaille, sa verve, ont pourtant bercé des générations. De ses débuts en tant que figurant devant la caméra d'André Cayatte à ses adieux au public, au lendemain du dernier épisode de Navarro, la carrière de Roger Hanin peut se poser comme un exemple, une trajectoire idéale, celle d'un homme courageux, engagé et aventurier.
Alger, la guerre, ses débuts
Née le 20 octobre 1925 au sein d'une famille modeste de la Casbah à Alger, le jeune Roger grandit dans le quartier historique de la capitale algérienne, avant de déménager à Bab El Oued. Pendant la guerre, Vichy renvoie les élèves juifs, y compris le jeune Hanin, qui ne reviendra dès lors plus jamais sur les bancs de l'école, décidant même de s'engager dans l'aviation en 1944.
Pied-noir, Roger Hanin assumera toute sa vie ses origines. Les revendiquera, même, disant fameusement : "Mon vrai nom, c'est Lévy. Mon père s'appelle Joseph Lévy. Ma mère Victorine Hanin. À l'origine, c'était Ben Hanine. C'est une fille Azoulay. Je suis 100 % kasher sur le plan génétique. Je suis fils de communiste et petit-fils de rabbin. Je me sens très juif." À la fin de la guerre, il se voue au sport, passant du ping-pong au water-polo et au basket. Puis, le cinéma l'attire. Il devient alors figurant, et apparaît dans Nous sommes tous des assassins d'André Cayatte puis dans La Môme vert-de-gris de Bernard Borderie. Il écume les plateaux de tournage, pige régulièrement pour Alex Joffé (Le Hussard, Du rififi chez les femmes) et Gilles Grangier (Gas-Oil, Le Désordre et la Nuit), avant de se révéler dans Sois belle et tais-toi où il incarne le voleur de bijoux face à Mylène Demongeot et d'autres débutants promis à un bel avenir, Jean-Paul Belmondo et Alain Delon. En 1959, sa carrière décolle : Ramuntcho de Pierre Schoendoerffer, A bout de souffle (Jean-Luc Godard) et bien évidemment La Valse du Gorille de Bernard Borderie, où il incarne "Le Gorille", un surnom qui lui restera. Il tournera ensuite pour les plus grands, de Henri Verneuil à Claude Autant-Lara en passant Claude Chabrol et des cinéastes italiens de renommée internationale tels que Luchino Visconti et Dino Risi.
Arcady le sublime en pied-noir
Fin des années 1970, Alexandre Arcady fait du second couteau Roger Hanin une star. Lui-même pied-noir, le cinéaste collabore avec Hanin sur Le Coup de sirocco et Le Grand Pardon, deux films sortis en 1978 et 1980. Dans le premier, une fresque qui conte l'exode des pieds-noirs à la fin de la guerre d'Algérie, le comédien campe un épicier contraint de partir en exil. Dans le second, sorte de Parrain à la française, il est le patriarche d'un clan familial de la mafia juive sévissant sur la côte basque. Le succès est au rendez-vous, les films deviendront cultes. Aujourd'hui, Alexandre Arcady évoque un géant du cinéma, un homme "gourmand de la vie" et "un père de substitution".
Les deux hommes vont se retrouver à nouveau en 1983, pour Le Grand Carnaval, ou le récit du débarquement américain en Algérie, dans lequel Hanin donne la réplique au grand Philippe Noiret, puis dans Dernier Été à Tanger (1987), en maître de la pègre de Tanger, et enfin Le Grand Pardon 2. Entre-temps, Roger Hanin poursuit sa carrière de réalisateur, se distinguant notamment avec Train d'enfer, un long métrage tiré d'un fait divers teinté de racisme, lorsqu'un jeune Arabe de 26 ans est battu à mort et défenestré d'un train par trois jeunes candidats à la légion étrangère. Il quitte d'ailleurs le Septième Art sur une réalisation, Soleil (1997), où il réunit deux légendes, Sophia Loren et Philippe Noiret. Amoureux de théâtre, lui qui aura joué Shakespeare, Paul Claudel ou Samuel Beckett durant sa carrière, il dirigea pendant 28 ans le Festival de théâtre de la ville de Pau, quittant ses fonctions en 2005.
Inoubliable Navarro
Pour les plus jeunes générations, Roger Hanin reste le visage imperturbable du commissaire Navarro. Et pour cause : l'acteur l'aura incarné de 1989 à 2007. Au départ, c'est un pari osé que celui de proposer une série policière sur la chaîne principale, TF1. Au final, dix-huit saisons, un succès populaire et des dizaines de futures stars passées par la case guest (Gaspard Ulliel, Michèle Laroque, Dany Boon et même Olivier Martinez). Si le programme marque à jamais l'histoire de la première chaîne française, il marquera aussi à jamais la carrière de certains acteurs de la série, notamment Emmanuelle Boidron, alias Yolande, la fille de Navarro. Très proche du charismatique comédien qu'elle connaît depuis ses 11 ans – elle en a aujourd'hui 36 –, elle a été l'une des premières à rendre hommage à celui qu'elle considère comme un second père.
Navarro est si culte que la première réaction des chaînes télé TF1 et D8 a été de programmer d'emblée des épisodes de la série, à savoir trois épisodes de Brigade Navarro ce mercredi soir pour TF1, et également trois épisodes pour D8 en prime time le 14 février.
Un homme engagé
Passionné de politique, l'ancien pied-noir sera directement lié à un homme politique, et non des moindres : François Mitterand, son beau-frère. Marié à Christine Gouze-Rénal, productrice de cinéma et télévision, et soeur de Danielle Mitterrand, Roger Hanin rencontre très tôt celui qui sera l'un des plus célèbres présidents de la République, et devient son ami. Les deux hommes deviennent inséparables, se respectent et se fascinent mutuellement. "J'étais son ami. Il était le mien", dira-t-il.
Sa relation avec le clan Mitterand sera pourtant entachée d'une longue procédure judiciaire, après être entré en conflit avec Danielle Mitterrand. Physiquement affaibli et financièrement proche du néant, il est raillé par le clan adverse lorsqu'il demande le remboursement de quelque 300 000 euros prêtés à l'épouse de l'ancien président pour payer la caution de son fils Jean-Christophe dans l'affaire de l'Angolagate. Il en obtiendra à peine plus de 30 000 lors du verdict rendu en février 2014.