"Je crois que les princes [William et Harry] espèrent avoir répondu à toutes ces questions une bonne fois pour toutes. Et qu'il n'y aura pas besoin de les leur poser à nouveau, que les gens pourront se référer à ce film et aux paroles qu'il contient s'ils ont des questions. Que ce sera leur premier et leur dernier mot sur le sujet." Maître d'oeuvre pour la BBC du documentaire Diana, 7 Days (Diana, 7 jours), le réalisateur primé Henry Singer, ancien d'Harvard et de Cambridge qui s'est signalé avec le film 9/11: The Falling Man sur les attentats du 11 septembre, a l'ambition d'avoir recueilli le témoignage ultime des deux fils de Lady Di, à l'occasion des vingt ans de la disparition de la princesse des coeurs.
Pour son film de 90 minutes, qui se focalise sur la semaine qui a suivi la mort de Diana, sur le chagrin de la population et sur la manière dont cet événement tragique a modifié le rapport des Britanniques à leur monarchie, le réalisateur de 50 ans a eu carte blanche, autorisé à poser toutes les questions qu'il désirait à William et Harry – libre à eux, toutefois, de ne pas répondre à certaines.
Pourquoi moi ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi ça nous arrive à nous ?
Parmi les sujets incontournables, Henry Singer n'a pas manqué d'interroger les deux frères sur les derniers mots qu'ils ont échangés avec leur mère et sur leurs sentiments le jour de ses funérailles publiques. Harry, qui avait alors 12 ans et en garde un souvenir très aigre, lui a ainsi confié avoir été marqué par "les mains des gens qui étaient mouillées par les larmes qu'ils venaient d'essuyer" ; quant à William, qui avait 15 ans, il a admis que marcher derrière le cercueil, tête baissée avec sa mèche de cheveux lui tombant devant les yeux "comme un rideau de sécurité", est "l'une des choses les plus dures [qu'il ait] jamais eu à faire", mais il a aussi avoué avoir eu "l'impression qu'elle marchait presque à [leurs] côtés pour [les] aider à y arriver".
À quelques jours de la diffusion outre-Manche, dimanche 27 août, de Diana, 7 Days, d'autres extraits ont été révélés. Parmi les moments les plus saisissants de cet entretien avec les princes, ces derniers évoquent pour la première fois le moment où ils ont appris la mort de leur maman, se gardant toutefois, comme c'est bien compréhensible, de livrer les détails de la manière dont la nouvelle leur a été communiquée par leur père le prince Charles. "Je me souviens seulement m'être senti complètement paralysé. Désorienté, pris de vertige, très, très désorienté... Et vous n'arrêtez pas de vous demander "Pourquoi moi ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi ça nous arrive à nous ?", tout le temps", témoigne William. Le prince Harry, lui aussi, explique avoir été "incrédule" et abasourdi : "Déni. Refus de l'accepter. Il n'y a pas eu d'effusion de chagrin, bien sûr que non. Je ne crois pas que qui que ce soit, dans cette situation et à cet âge-là, soit en mesure de comprendre le concept de ce que cela signifie concrètement de continuer à avancer", constate-t-il.
Contre toute attente, le cadet des deux loue au passage l'attitude de leur père, dont le divorce avec Diana avait été prononcé un an plus tôt : "L'une des choses les plus dures, pour un parent, c'est de devoir annoncer à vos enfants que leur autre parent est mort. Mais il a été là pour nous, c'est celui des deux qui est resté et il a fait de son mieux, s'assurant que nous soyons protégés et qu'on veille sur nous. Mais, vous savez, lui aussi devait passer par le même processus de deuil", souligne le jeune homme, qui n'ignore pas combien les dernières années du mariage de ses parents furent nauséabondes et émaillées de règlements de comptes dans les médias.
William et Harry reviennent par ailleurs sur les jours qui ont suivi, passés reclus à Balmoral, résidence écossais de la reine Elizabeth II. Une décision de la monarque que l'opinion publique, sous le choc de la mort de la très aimée Diana, a eu bien du mal à comprendre et lui a explicitement reprochée... Mais les fils de la défunte, eux, ont respecté son choix, qui leur a permis de faire leur deuil dans l'intimité, à l'abri de l'hystérie collective qui s'est emparée du royaume et des déferlantes de chagrin sans précédent. À cette fin, la souveraine avait même fait enlever les journaux de Balmoral pour éviter que les deux adolescents tombent dessus... "Je pense que ce fut une décision très dure à prendre pour ma grand-mère, note William. Elle se sentait très tiraillée entre le fait d'être une grand-mère pour William et Harry et son rôle de reine." Et il n'y avait pas de smartphones, bien sûr, comme le rappelle le duc de Cambridge : "Heureusement, pour être honnête, nous avions de l'intimité pour pleurer et rassembler nos esprits, en étant à l'écart de tout le monde. Nous n'avions aucune idée du fait que la réaction à sa mort était aussi colossale."
"C'était un dilemme, ajoute Harry, entre comment laisser les garçons faire leur deuil en privé, et en même temps trouver le bon moment pour qu'ils remettent leur casquette de princes et assument leur devoir en pleurant non seulement leur mère, mais aussi la princesse de Galles, en une occasion très publique."
Au lendemain de l'accident fatal à Diana, les jeunes princes avaient assisté à une messe en l'église Crathie Kirk, à côté du château de Balmoral. Ils avaient aussi pris connaissance des messages et des fleurs déposés par des admirateurs : "Je regardais les fleurs et les mots, et j'étais très touché mais je n'en comprenais aucun. Tout ce qui m'importait, c'est que j'avais perdu ma mère et que je ne voulais pas me trouver là", admet William.
Puis vint le moment de quitter cet ermitage et de retourner à Londres, pour les obsèques. Le choc avec la réalité, un chagrin collectif hors de proportions, fut rude. "Les gens nous attrapaient, nous attiraient dans leurs bras, tout ça. Je n'en veux à personne pour cela, bien sûr que non. Mais ce sont ces moments qui étaient assez choquants, les gens qui hurlaient, les gens qui pleuraient", se remémore Harry à propos de ce deuil de leur mère qu'il a fallu partager avec des millions d'anonymes. "C'était tellement inhabituel pour les gens de voir des garçons aussi jeunes qui ne pleuraient pas alors que tout le monde pleurait", remarque-t-il aussi.
La question sensible de savoir si les garçons devaient marcher derrière le cercueil contenant la dépouille de Diana, en ce funeste 6 septembre 1997, avait fait l'objet d'âpres débats toute la semaine durant. Alors que des membres du staff royal plaidaient en faveur de leur participation, le duc d'Edimbourg, leur grand-père, tempêtait pour leur éviter ce pénible exercice. La décision ne se serait faite que le matin même, le prince Philip finissant par convaincre William en lui proposant : "Si je viens aussi, tu viens ?"
Il n'empêche, le fils aîné du prince Charles aurait préféré "aller s'enfermer dans une pièce et pleurer" plutôt que de marcher pendant une demi-heure derrière le cercueil, du palais Saint-James à l'abbaye de Westminster : "Je me rappelle juste, en gros, que je me cachais derrière ma mèche de cheveux, à cette époque où j'avais encore beaucoup de cheveux, et que ma tête était beaucoup baissée", dit-il. Quant à Harry, s'il s'était juré, en réaction au traumatisme de la mort de sa mère, de ne jamais pleurer en public de toute sa vie, il a bien failli craquer lorsque Sir Elton John a interprété Candle in the Wind lors de la cérémonie. "La chanson était incroyablement émouvante. C'était une partie de toute cette mécanique qui m'a presque fait pleurer en public, ce que je suis content de n'avoir pas fait, témoigne-t-il. A posteriori, je suis heureux de n'avoir jamais pleuré en public, parce qu'il y a une frontière fine entre le travail, entre faire son deuil quand on travaille et faire son deuil en privé. Même si quelqu'un avait essayé de me faire pleurer en public, sans doute ne puis-je toujours pas. Ce qui s'est passé m'a changé, de ce point de vue." Ce que William a également évoqué en parlant de "visage de façade" affiché malgré le chaos intérieur que les deux frères ressentaient intérieurement.
À William le mot de la fin : "Elle nous aimait, Harry et moi. Même après ces vingt années, je ressens toujours cet amour. Si je peux être ne serait-ce qu'une fraction de ce qu'elle a été, je serai fier et, avec de la chance, je la rendrai fière."