Bas les Masques, Vie privée vie publique, La vie à l'endroit, en quatre décennies et de nombreuses émissions centrées sur des entretiens ou des débats, Mireille Dumas a marqué le PAF de son empreinte. Sa voix douce et posée, sa bienveillance, le respect qu'elle a pour ses interlocuteurs lui ont permis de recueillir d'innombrables confidences, de mettre en avant des sujets sociétaux compliqués. Alors qu'elle a quitté l'antenne depuis dix ans et avant qu'elle ne souffle la première bougie de la chaîne YouTube qu'elle a lancée, Purepeople est allé à sa rencontre.
Le teint hâlé par de longues vacances passées dans sa maison en Corse, les pensées encore un peu embrumées par cette période de farniente, ainsi qu'elle s'en excusera plusieurs fois bien que sa sagacité ne nous ait en rien paru émoussée, elle nous reçoit au 8eétage d'un immeuble qu'elle occupe dans une petite rue du 15e arrondissement où elle a installé sa boîte de production il y a trente ans. Simple, confortable, lumineux, disposant d'un balcon donnant sur la tour Eiffel qui émerge des toits, le lieu est propice à la discussion.
Elle durera près de deux heures au cours desquelles Mireille nous parlera de sa vie publique, bien sûr, de son métier, des innombrables rencontres auxquelles il a donné lieu, de sa façon de travailler, mais elle évoquera aussi longuement sa vie privée. Son mari Dominique, la perte de leur enfant, ses loisirs, son refuge en Corse. Autant de thèmes que nous vous proposons de découvrir en plusieurs fois, histoire de faire durer le plaisir de ce moment suspendu.
"Mireille Dumas devient YouTubeuse", c'est ce qu'on trouve quand on cherche des informations récentes sur vous. Une reconversion inattendue ! Pouvez-vous nous expliquer ce projet ?
Oui, je comprends que cela puisse surprendre. J'ai lancé une chaîne YouTube INA Mireille Dumas en septembre dernier avec l'Institut National de l'Audiovisuel. L'idée était de faire revivre les milliers d'heures d'interviews que j'ai tournées pendant plus de 40 ans, des témoignages d'anonymes, des débats sur tous les sujets de société, des portraits d'artistes et de personnalités de tous horizons. Ceux qui me suivaient peuvent redécouvrir ces moments, et les plus jeunes comprendre peut-être un peu plus le monde d'hier et d'aujourd'hui.
Quel est l'objectif de cette chaîne ?
Outre le fait de revoir des moments marquants de la télévision qu'ils soient émouvants, insolites ou drôles, l'intérêt est de mettre en perspective l'évolution de la société avec tous ces thèmes très actuels déjà abordés depuis les années 80. D'ailleurs, je tourne spécialement pour YouTube Mireille Dumas retrouve des rencontres avec des personnes que j'ai interviewées il y a vingt ans,trente ans et plus où nous découvrons aujourd'hui ce qu'elles sont devenues.
Avez-vous un exemple ?
Oui, bien sûr. Linda, cette maman célibataire de 14 ans qui avait décidé de garder son enfant contre vents et marées, même si elle était dans un foyer à l'époque. Elle a 44 ans aujourd'hui et un deuxième enfant. Elle a beaucoup galéré, mais elle s'en est bien sortie et est devenue fonctionnaire territoriale. J'ai été émue d'apprendre dans ce nouvel échange, qu'après l'émission de 1994, son père qu'elle n'avait jamais revu depuis son enfance et qu'elle recherchait désespérément en multipliant les fugues, l'avait contactée. Ils ont pu se revoir avant son décès. Cela l'a aidée à se structurer, d'autant qu'elle a pu ainsi expurger ce poison qu'est souvent le secret de famille.
Est-ce que ce genre de témoignage attire toujours autant l'attention du public ?
Absolument. Les deux témoignages de Linda ont été vus par près d'un million de personnes. Il y a aussi Satya Oblette, d'origine indienne, qui avait témoigné avec sa famille adoptive quand il était mannequin vedette pour Jean-Paul Gaultier ou Kenzo. Les internautes ont été très nombreux à être intéressés par sa vie actuelle à moto sur les routes du monde entier pour son engagement auprès des Nations Unis sur les questions environnementales, notamment la problématique de l'eau. Et aussi touchés d'apprendre sa quête pour retrouver sa mère biologique à Pondichéry. Ces parcours de vie parlent à tous, comme celui d'Ari Boulogne, (NDR décédé depuis), qui racontait son rapport douloureux avec Alain Delon .
Depuis trente ans, vous travaillez dans ces locaux de votre maison de production. Vous y faites quoi aujourd'hui ?
Des documentaires pour France Télévisions principalement mais aussi pour Canal+, comme par exemple le portrait de Brigitte Bardot que j'ai réalisé dernièrement. Et la production des nouveaux contenus pour la chaine YouTube. Tout se passe ici, dans ces salles de montage autour de nous. J'ai toujours voulu des espaces lumineux et agréables, car à mes débuts, les salles de montage étaient souvent dans des sous-sols sombres et enfumés. J'ai décidé que, compte tenu du temps passé à cet exercice, elles seraient au dernier étage avec un balcon. (NDR Et une très jolie vue sur la Tour Eiffel)
On ne vous voit plus à l'écran ?
J'ai arrêté l'antenne il y a dix ans, sans aucun regret, puisque j'ai continué mon métier de journaliste et de réalisatrice qui me passionne. Dans mes nouveaux entretiens pour ma chaîne YouTube, au départ, je n'apparaissais pas, mais cela a frustré certains internautes car je suis beaucoup dans l'interaction. J'ai donc fait cette concession de me laisser filmer de nouveau dans cet exercice. Et puis, il est vrai que les retrouvailles valent dans les deux sens ! Je n'ai aucun problème avec l'âge, ma mère ayant été un modèle rassurant, mais se voir vieillir à l'écran n'est pas ce qu'il y a de plus enthousiasmant pour soi.
Qu'est-ce qui vous plaît dans l'interview ?
La rencontre, la découverte et la mise en perspective d'un parcours. Partager avec l'interlocuteur et le public cette expérience si singulière et unique qu'est la vie et en même temps si universelle. Je suis toujours impressionnée par la façon dont les gens surmontent leurs difficultés et leurs traumatismes. La résilience est un fil conducteur dans mon travail.
Pensez-vous que vos émissions ont permis de faire bouger les lignes ?
Oui, je le pense, déjà pour avoir donné la parole à tous ceux qui ne l'avaient pas dans toutes les couches sociales. Et surtout pour avoir parlé, il y a 30 ou 40 ans, des sujets tabous à l'époque comme l'homosexualité ou le transgenre, le handicap mais aussi le harcèlement, les violences en tous genres faites aux femmes et aux enfants et permis de poser des mots sur les traumatismes. Par exemple, une de mes premières émissions sur les enfants abusés, dans les années 90, a eu un fort impact et provoqué un afflux d'appels de victimes. Les pouvoirs publics ont été alertés. Nous étions souvent contactés par les associations. Les émissions provoquaient des débats dans les lycées et universités. Mais il n'y avait pas la caisse de résonnance que sont aujourd'hui les réseaux sociaux.
Cela résonne-t-il avec votre propre expérience ?
J'ai été marquée très jeune par un événement : une petite fille avait été emmenée par les gendarmes en plein cours et ma mère, qui était mon institutrice, avait expliqué à la classe qu'elle était abusée régulièrement par son père (qui venait d'être arrêté) et qu'il ne fallait pas se laisser faire par les adultes dans la mesure où notre corps nous appartenait. Cette dernière phrase a été structurante pour moi et fait écho aujourd'hui, plus que jamais. J'ai toujours eu envie de donner la parole aux plus vulnérables.
Votre expérience personnelle, notamment avec le fils de votre mari, a-t-elle influencé votre travail ?
Oui, certainement. Quand j'ai rencontré Dominique, il avait un fils différent, comme on dit, avec un problème d'autisme, Antoine. Cela m'a encore plus sensibilisée aux différences et à la marginalité. Cette expérience personnelle a renforcé mon envie de m'intéresser aux personnes qui vivent des situations compliquées et de faire en sorte que la société les protège et leur donne une place.
Retrouvez ici la chaîne YouTube INA Mireille Dumas. Chaque semaine, trois nouvelles vidéos sont postées.
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