La justice a rendu son (premier) verdict. Oscar Pistorius a été déclaré non coupable du meurtre de sa compagne Reeva Steenkamp. Pour autant, l'athlète double amputé n'est pas acquitté. La juge Thokozile Masipa a ouvert la porte à une condamnation pour homicide involontaire.
La défense mise à mal
Ce 11 septembre, Oscar Pistorius était attendu au tribunal de Pretoria, où la juge Thokozile Masipa devait débuter la lecture de ses conclusions menant au verdict attendu par tout un peuple et même la planète entière. Visage blême, mâchoires serrées, regard baissé laissant parfois couler quelques larmes, Oscar Pistorius a traversé ce moment totalement figé. Pour apprendre qu'il ne serait pas condamné pour meurtre, alors que l'accusation pensait avoir prouvé qu'il avait bien l'intention de tuer.
Thokozile Masipa a consciencieusement détruit les arguments de la défense et de l'accusation pour en arriver à ses premières conclusions. Elle a tout d'abord critiqué les témoignages produits par l'accusation, et notamment des témoins qui assuraient avoir entendu les hurlements d'une femme la nuit du meurtre. Si elle n'a pas remis en cause l'honnêteté des témoins, et les a même remerciés, elle a en revanche refusé de s'appuyer sur des souvenirs qu'elle juge fragilisés par le caractère "faillible" de la mémoire humaine et brouillés par la couverture médiatique du procès. Et notamment celui de Michelle Burger et de son époux, voisins directs d'Oscar Pistorius. "Le témoignage de ce témoin et de son mari a été critiqué avec raison, il n'est pas fiable de mon point de vue. Il doit être rejeté dans sa totalité", a déclaré la juge, s'appuyant sur la distance entre les deux propriétés, éloignées d'une centaine de mètres. Avant de poursuivre : "A mon avis, ils ne sont pas parvenus à faire la différence entre ce qu'ils savaient personnellement et ce qu'ils ont entendu dire par d'autres gens, ou dans les médias. Le fait que l'affaire ait attiré beaucoup d'attention médiatique, en particulier juste après l'incident, et le fait qu'elle soit devenue un sujet de discussions dans beaucoup de foyers, n'a pas non plus aidé."
Incohérences et relation amoureuse
Mais l'accusation n'est pas la seule à avoir été renvoyée dans les cordes. La défense aussi a été durement critiquée, notamment sur les multiples changements de ligne de défense d'Oscar Pistorius. La juge a pointé les "incohérences" dans la version de Pistorius, lui qui a adopté "pléthore de modes de défense", évoquant un accident ou une situation de légitime défense.
Par ailleurs, la relation supposément chaotique entre Oscar Pistorius et Reeva Steenkamp, ou au contraire fusionnelle, n'a pas été retenue par Thokozile Masipa. "Ni les preuves en faveur d'une relation amoureuse ni celles en faveur d'une relation tendue ne peuvent aider cette cour à déterminer si l'accusé avait l'intention de tuer sa victime", ajoutant qu'aucune des deux démonstrations "ne prouve quoi que ce soit", arguant du fait qu'une "relation amoureuse est par nature dynamique et imprévisible la plupart du temps".
"En toute consience"
Cependant, les conclusions de la juge sont sans appel concernant la décision d'Oscar Pistorius de tirer à travers la porte des toilettes derrière laquelle il pensait, dit-il, qu'un cambrioleur avait trouvé refuge. Selon elle, l'athlète handicapé a agi "en toute conscience" : "Il a décidé de prendre son arme, en d'autres termes, il a pris une décision en toute conscience (...) La cour estime qu'à ce moment-là, l'accusé était capable de distinguer entre le bien et le mal, et qu'il pouvait agir conformément à cette distinction." Elle a également expliqué qu'Oscar Pistorius avait d'autres solutions que celle de tirer à travers la porte. Selon elle, il aurait pu se rendre sur le balcon dont il était plus proche que la salle de bain, d'où il aurait pu appeler à l'aide. Il aurait également pu se cacher et appeler la sécurité du domaine.
Mais Oscar Pistorius a fait le choix délibéré de s'armer et d'aller directement vers la salle de bain où il avait entendu du bruit, sans prendre la peine de vérifier où était sa compagne à ce moment-là... Elle a également noté qu'Oscar Pistorius s'était montré "un très mauvais témoin", "évasif", plus préoccupé par la portée de ses réponses que par les questions posées.
Non coupable de meurtre
"Le fait que Pistorius ait tiré et tué quelqu'un n'est pas en doute", a expliqué à l'AFP Audrey Berndt, avocate française au barreau de Joahnnesburg. Ce que la justice doit prouver, au-delà du doute raisonnable, c'est l'intention qu'il avait au moment de tirer : "C'est là-dessus qu'ils vont décider s'il est coupable de meurtre, ou d'homicide involontaire."
"Je suis d'avis que l'accusé a agi trop vite et fait un usage excessif de la force. Dans ces circonstances, il est clair qu'il a fait preuve de négligence", a expliqué Thokozile Masipa, ajoutant : "Il y avait d'autres moyens de réagir à ce qu'il percevait être une menace pour sa vie." En conclusion, elle a écarté les accusations de meurtre et de meurtre avec préméditation : "Le parquet n'a pas démontré au-delà du doute raisonnable que l'accusé était coupable de meurtre avec préméditation. L'accusé ne peut donc pas être coupable de meurtre."
Un revers pour l'accusation, et une décision qui n'a pas manqué de soulever de nombreuses critiques de la part du monde judiciaire, même si Audrey Berndt comprend, elle, la décision de Thokozile Masipa : "En Afrique du Sud, pour condamner pour meurtre, il faut prouver l'intention de tuer, au-delà du doute raisonnable. Et là, il y a des doutes. (...) Tout tourne autour de ce qui se passe dans la tête de Pistorius au moment des faits, et ça, c'est très difficile à prouver." En attendant, la juge a laissé la porte ouverte à une condamnation pour homicide involontaire dans la lecture de son jugement. Un crime passible de 15 ans de prison.
Il faudra donc attendre ce vendredi 12 septembre pour avoir le jugement définitif. Quant à la peine infligée à l'accusé, elle ne sera pas connue avant plusieurs semaines, à l'issue d'un nouveau mini-procès au cours duquel la défense pourra tenter d'alléger la peine de son client, si celui-ci venait à être condamné.