

Thomas Langmann n'est pas sorti de nulle part. Son père Claude Berri a réalisé Le Vieil Homme et l'Enfant (1966), Jean de Florette et Manon des sources (1986) ou encore Germinal (1993). Sa mère Anne-Marie Rassam est la soeur des producteurs Jean-Pierre et Paul Rassam, collaborateurs de Jean-Luc Godard et Sofia Coppola. Son cousin Dimitri Rassam est producteur du Prénom (2011) avec Patrick Bruel et Au bonheur des ogres avec Bérénice Bejo. Thomas Langmann est le premier à s'en rendre compte : "Mon père, dans sa jeunesse, était très lié à Maurice Pialat. Ma tante, Arlette, était sa femme. Truffaut fut témoin de mariage de mes parents. Polanski, Coppola, leurs amis..." Une enfance bercée par la lumière du cinéma, et un chemin qui pouvait difficilement éviter le septième art.
Self-made man (ou presque)
Pourtant, sa réussite est saisissante. D'abord acteur, il est nommé au César du meilleur espoir pour Les Années sandwiches (1989) à 17 ans et traverse le cinéma de Chantal Akerman (Nuit et jour, 1991) et Olivier Assayas (Paris s'éveille, 1991). À L'Optimum, dont il fait la couverture ce mois-ci, il avoue avoir un peu trop écouté son coeur de cinéphile pendant ses années devant la caméra : "J'ai préféré être chauffeur sur Le Parrain 3 plutôt que rejoindre un film de Claude Pinoteau."
Le temps de la production arrive alors. D'abord sous la protection de son père chez Renn Productions, avant de voler de ses propres ailes avec La Petite Reine. Il décroche le succès public avec la comédie Le Boulet (2001) et perce avec des projets plus personnels : L'Instinct de mort et L'Ennemi public n° 1 (2008) de Jean-François Richet, un dyptique consacré à Mesrine. Un pari risqué, qui a failli lui coûter cher : "À l'époque de Mesrine, j'ai été en faillite. Je n'attendais plus que la sortie du film pour faire mes cartons. Pour la première fois, je suis allé voir mon père pour lui demander de l'aide. (...) Je me suis lancé dans l'aventure avec un manque de 15 millions d'euros. En cas de flop, je fermais mon bureau le lendemain." Encensés par la critique, les deux films cumulent près de 4 millions d'entrées et trois César.
Le revers de la fortune viendra de la superproduction Astérix aux Jeux olympiques (2008), qu'il coréalise avec Frédéric Forestier. Détruit par la presse, le film à 78 millions d'euros attire à peine 7 millions de spectateurs, deux fois moins que le film d'Alain Chabat. Mais cette fois, le producteur a bien calculé son coup : "Je peux vous le dire aujourd'hui, je m'en fous : Astérix aux Jeux olympiques était gagnant avant même sa sortie." Trois ans plus tard, il ressort également vainqueur de l'affrontement des remakes de La Guerre des boutons, programmé par la libération des droits du livre : "Nous sommes les seuls à avoir gagné de l'argent. Et nous en aurions gagné bien plus s'il n'y avait pas eu l'autre crétin, l'autre producteur ! C'est très simple, nous avions Canal+ dès le départ. Nous avons vendu notre film dans le monde entier. Le leur, uniquement en Belgique. Sur les entrées France, on a fait un poil plus qu'eux..."
The French Artist
Conquérant dans l'âme, Thomas Langmann a certainement dépassé ses propres espoirs avec The Artist, le film désormais culte de Michel Hazanavicius récompensé par cinq Oscars et six César. "Si j'ai pu faire The Artist, c'est grâce au Mac, au Boulet, à Astérix et Obélix...", avoue t-il sans détour. Avec son Oscar du meilleur film remporté devant la scène hollywoodienne, le fils est encore une fois entré dans la même histoire que son père, lui aussi monté sur la scène de Los Angeles pour recevoir l'Oscar du meilleur court-métrage pour Le Poulet (1966).
Mais si Thomas Langmann est en couverture de L'Optimum, c'est aussi et surtout parce qu'il alimente les fantasmes de winner durs à cuire avec l'épopée de The Artist : "L'idée de Michel [Hazanavicius], il a fallu qu'elle soit accompagnée, comme, ensuite, j'ai dû être accompagné sur le territoire américain par Harvey [Weinstein]. Il y a eu certes, cette chance dont je vous parlais, mais les choses ne se sont pas faites simplement. J'ai dû me séparer en chemin d'un distributeur, d'un vendeur à l'étranger... Des choix compliqués, comme celui de ne pas tourner en France, ni dans un pays de l'Est - 2 millions et demi d'euros en moins à investir quand même -, ce qui a paru, sur le coup, inconscient. Moi, j'avais cet instinct. Il fallait le faire [aux Etats-Unis]."
Si le producteur français était en première ligne de l'aventure américaine financée par Harvey Weinstein, c'est parce qu'il a vivement participé à la construction du film muet en noir et blanc : "À la base, quand nous nous sommes rencontrés, Michel et moi, c'était pour faire Fantômas. Tout de suite, Michel m'a parlé de Jean Dujardin courant sur les toits de Paris ; un film muet, en noir et blanc. Son Fantômas n'était pas le mien. Je lui ai dit : 'Écris ton film !'. Et nous sommes convenus d'un mélo. Le premier titre était The Beauty Spot. Ça ne m'emballait pas trop. Je suis revenu avec The Artist. Ces choix - le titre, le tournage en Amérique... - lui ont finalement permis de s'imposer comme il l'a fait, touché par la grâce."
Les failles
Un après avoir donné le coup d'envoi de l'aventure de The Artist à Cannes, Thomas Langmann peut dresser un beau bilan de sa carrière. Toutefois, il a un regret, plus intime cette fois-ci : "Je n'ai pas réussi ma vie de couple. Je gardais le rêve qu'avaient mes parents, de faire sa vie en une fois, se marier, fonder une famille." À 41 ans, il a survécu à sa mère, morte en 1997, son père, décédé en 2009, et son frère, qui s'est suicidé en 2002. Une histoire familiale douloureuse, qu'il évoque une nouvelle fois : "Pour ma mère, ça reste une blessure. J'étais très lié à elle. J'avais 23 ans. Pour moi, sa mort n'était pas normale, pas dans l'ordre des choses. Mon frère, ce n'était pas normal non plus..."
Mais la force est intacte. Après avoir abandonné son film sur le Gang des barbares intitulé Ignorants, Thomas Langmann prépare avec Jean Dujardin et Vincent Cassel le remake du film de son père Un moment d'égarement, réalisé par Yvan Attal. Le tournage de Colt 45 avec Gérard Lanvin et JoeyStarr va commencer, la comédie Stars 80 avec Richard Anconina et Patrick Timsit est attendue en novembre et le film d'horreur Maniac avec Elijah Wood sera présenté à Cannes en séance de minuit. Et il retrouvera Michel Hazanavicius et Bérénice Bejo pour The Search, remake en couleurs d'un film de Fred Zinneman.
Pour sa part, Thomas Langmann s'apprête à revenir dans le costume d'acteur avec Niels Arestrup dans une pièce de Mark Rothko. Une année bien chargée, qui vient sceller le destin de ce producteur à part. "En tout cas, s'il s'avère que j'ai un destin plutôt sombre, je lutte contre."
Retrouvez l'interview de Thomas Langmann dans L'Optimum, mai 2012.
Geoffrey Crété