Harvey Weinstein

Il tenait le monde du cinéma dans sa main, il était le producteur, sinon le plus puissant, du moins le plus visible d'Hollywood, et puis Harvey Weinstein est tombé, accusé de multiples viols et agressions sexuelles. Son "affaire" a suscité un mouvement global de dénonciation contre le sexisme dans divers milieux professionnels, libérant la parole des victimes et changeant pour toujours les comportements.

Harvey Weinstein naît à New York le 19 mars 1952, dans le quartier de Flushing, dans le Queens, où son père est tailleur de diamants. Après ses études universitaires, il travaille d'abord comme promoteur de concerts à Buffalo, dans les années 70. Il fait jouer aussi bien Frank Sinatra que les Rolling Stones, puis il achète un club à New York et enfin il fonde, à la fin des années 70 et avec son frère Robert, une société de production de cinéma, Miramax Films, qui tout au long des années 80 et 90, va s'imposer comme la compagnie la plus performante en matière de cinéma indépendant. Miramax commence par proposer des films liés à la musique, comme Rockshow (1980), un concert filmé de Paul McCartney & Wings. Puis ils achètent les droits de deux films de concerts humanitaires à Amnesty Inernational, le remontent en un film et connaissent leur premier succès avec ce The Secret Policeman's Ball (1981) avec Sting, Phil Collins, Donovan ou Eric Clapton. Le film est un succès et rapporte beaucoup d'argent à l'ONG Amnesty, tout en établissant une réputation favorable pour Miramax.

Tout au long des années 80, la compagnie travaille essentiellement sur le créneau des films d'auteurs, devenant le creuset où s'élabore l'art et essai. Miramax remporte sa première Palme d'or à Cannes avec Sexe, mensonges et vidéo (1990) de Steven Soderbergh et se fait remarquer pour Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (1989) de Peter Greenaway et Attache-moi (1990) de Pedro Almodovar, avec Victoria Abril et Antonio Banderas. Les productions s'enchaînent et, après le succès de The Crying Game (1992) de Neil Jordan, Disney propose 80 millions de dollars à Miramax pour racheter la société, tout en conservant les frères Weinstein à sa tête.

En 1994, Pulp Fiction de Quentin Tarantino fait passer Miramax dans une autre dimension, puis c'est le premier Oscar, pour Le Patient Anglais (1996) d'Anthony Minghella, suivi de gros succès comme Will Hunting (1997, avec Matt Damon, Ben Affleck et Robin Williams, deux Oscars) et Shakespeare in love (1998) avec Gwyneth Paltrow et Joseph Fiennes, qui rapporte sept Oscars et près de 300 millions de dollars de recettes. Les succès s'additionnent, parmi lesquels Gangs of New York (2002) de Martin Scorsese. Miramax produit aussi bien du blockbuster d'horreur comme Scream et ses multiples suites que Holy Smoke ! de Jane Campion.

Depuis longtemps, le discret Robert et l'exubérant Harvey font la pluie et le beau temps dans le cinéma américain, donc mondial. Très engagés auprès du parti démocrate, dont les candidats successifs bénéficient de leurs largesses, les Weinstein produisent le très engagé Fahrenheit 9/11 de Michael Moore (2004), un brûlot anti-Bush qui remporte la Palme d'or à Cannes et fait plus de 200 millions de dollars de recettes au box-office, un score confortable pour un documentaire, produit pour à peine 6 millions. Tous les films de Tarantino (Jacky Brown, Kill Bill 1 & 2), de Scorsese (Aviator) passent entre les mains des nouveaux nababs d'Hollywood.

En 2005, les frères Weinstein ont des différends avec Disney et décident de quitter le navire Miramax pour s'en aller fonder à nouveau leur propre compagnie, The Weinstein Company. Ils emportent bien sûr avec eux Tarantino et leur écurie de réalisateurs, qui vont durant les années qui suivent continuer de renforcer la puissance de Harvey Weinstein. Réputé pour ses qualités de négociateur sans pitié, le mogul a tous les pouvoirs, dont le final cut, qui lui permet d'intervenir sur le montage final des films qu'il produit ou distribue. Agressif, colérique, sa réputation de tyran n'est plus à faire, mais l'homme est puissant, il fait les succès et les récompenses. Une analyse poussée montre qu'il a été remercié 34 fois dans les discours des récipiendaires d'Oscars. Les Oscars de The Artist (Dujardin, Hazanavicius) lui doivent tout, à commencer par un budget "Oscars" quasi équivalent à celui du film.

Harvey Weinstein s'est marié deux fois, en 1987 avec son assistante, Eve Chilton, dont il divorce en 2004, après avoir eu trois filles, Remy (1995), Emma (1998) et Ruth (2002). En 2007, il se remarie avec la styliste anglaise Georgina Chapman, également mannequin et actrice, et fondatrice de la griffe Marchesa. Ils ont deux enfants, India Pearl (2010) et Dashiell (2013).

Harvey Weinstein semblait donc parti pour régner encore de longues années sur le cinéma, à l'instar des grands producteurs hollywoodiens des années classiques, mais c'était sans compter sur sa détestable habitude d'agir avec les femmes comme un prédateur, tellement infatué de son pouvoir (de "faire les carrières" des actrices) qu'il a durant des années eu avec elles des comportements condamnables, au sens juridique du terme.

L'Affaire Weinstein commence en octobre 2017, par un article du New York Times et du New Yorker, rapportant qu'une douzaine de femmes accusent le producteur de viol, harcèlement et agression sexuelle. La révélation fait boule de neige et d'autres femmes, pour l'essentiel actrices, se joignent à la liste des victimes présumées du prédateur. Devant le scandale annoncé, il est licencié de sa propre compagnie et sa femme demande le divorce. Il est ensuite suspendu et exclu des diverses associations et académies professionnelles dans lesquelles il était un membre influent. Le président Macron lui retire sa légion d'honneur. Ceux qui "savaient" (ses proches collaborateurs, y compris les réalisateurs) et ceux qui ignoraient ses pratiques (politiciens) lui tournent le dos tandis que la police de Los Angeles ouvre une enquête. Ronan Farrow, journaliste d'investigation réputé et fils de l'actrice Mia Farrow, publie une enquête révélant que le magnat aurait payé une agence israélienne de sécurité privée pour intervenir, de façon menaçante, contre des journalistes ou actrices, comme Rose McGowan, l'une des plus combatives parmi les victimes de ses agissements, avec l'Italienne Asia Argento. La rumeur de la pratique intensive de la "promotion canapé" courait depuis des années dans le milieu, après des allusions de Gwyneth Paltrow en 1998, ou de Courtney Love en 2005, qui dans des talk-shows télévisés avaient clairement exprimé leurs expériences malheureuses, mais durant ces années, l'argent avait servi à tarir les fuites et le pouvoir impressionnait (Weinstein s'affichait, régulièrement, avec rien moins que Bill Clinton ou Barack Obama).

L'affaire Weinstein servit de déclencheur à une vague salvatrice de dénonciation de pratiques d'un autre âge, et pourtant encore vivaces, dans les milieux artistiques et professionnels. Le mouvement #metoo est né de là, puis #balancetonporc, en France.

Le 25 mai 2018, Harvey Weinstein est arrêté et mis en examen pour viol, acte sexuel criminel, abus sexuel et conduite sexuelle inappropriée. Il est mis en liberté, jusqu'à son procès, en s'acquittant d'une caution d'un million de dollars, et doit porter un bracelet électronique. La compagnie Weinstein est mise en faillite et ses actifs sont rachetés. Un documentaire, Untouchable (2019), avec des interviews de quelques-unes de ses victimes, est distribué. A quelques mois de son procès, prévu pour janvier 2020 et pour lequel il s'apprête à plaider non coupable, arguant n'avoir pas "inventé la promotion canapé dans le cinéma", ce sont 91 femmes qui l'accusent publiquement de harcèlement sexuel, dont 14 de viol qualifié. Parmi elles, nombre d'actrices et mannequins connues, parmi lesquelles Rose McGowan, Asia Argento, Paz de la Huerta, Rosanna Arquette, Cate Blanchett, Emma De Caunes, Cara Delevingne, Angelina Jolie, Eva Green, Judith Godrèche, Darryl Hannah, Salma Hayek, Gwyneth Paltrow, Lupita Nyong'o, Léa Seydoux, Mira Sorvino, Uma Thurman...

Le 24 février 2020, au terme de six semaines d'un procès qui a vu pas moins de vingt-huit victimes des agissements du superproducteur se présenter à la barre pour y livrer des témoignages glaçants reconstituant le terrible modus operandi du prédateur sexuel, Harvey Weinstein est reconnu coupable de deux des cinq chefs d'inculpation pour lesquels il était jugé : acte sexuel criminel au premier degré (dénoncé par Miriam Haleyi, ancienne assistante de production de l'émission Project Runway) et viol au troisième degré de la coiffeuse Jessica Mann en 2013. Il est en revanche relaxé des trois autres chefs d'accusation retenus, dont le plus grave (agression sexuelle aggravée), passible à lui seul de la réclusion à perpétuité.

Moins d'un mois plus tard, sa sentence est prononcée : Weinstein est condamné à 23 années de prison (il en encourait jusqu'à 29). D'abord détenu à Rikers Island, il est transféré au centre pénitentiaire de Wende.

Le même mois, il est révélé qu'Harvey Weinstein est atteint du coronavirus Covid-19, qu'il a contracté en prison, comme nombre d'autres détenus.

Les chroniques judiciaires de Harvey Weinstein doivent se poursuivre en Californie : le jour même de l'ouverture de son procès à New York, le 6 janvier 2020, le procureur de Los Angeles l'inculpait formellement de viol et d'agression sexuelle pour des faits remontant à 2013 et dénoncés par deux plaignantes distinctes. En cas de verdict de culpabilité, il encourrait jusqu'à 28 ans d'emprisonnement en Californie.