Il est 22h59 à Paris, le 14 mai 2011 lorsqu'un premier tweet tombe. Trente minutes plus tard, l'information est à la une de deux sites internet américains. Au matin du 15 mai, elle tourne en boucle sur toutes les chaînes d'infos, dans toutes les radios, et sur les sites web du monde entier : Dominique Strauss-Kahn, le directeur du FMI, accusé d'agression sexuelle, a été interpellé à New-York juste avant qu'il ne s'envole pour Paris. C'est la stupeur. Lui, l'ancien ministre de l'économie et des finances de Lionel Jospin, lui qui a su affronter, au niveau mondial, la terrible crise financière de 2008, lui qui était le favori des sondages pour la présidentielle de 2012 en France, voit son destin balayé. Un grand homme vacille, une grande histoire d'amour aussi. Mais cela va prendre du temps. Beaucoup de temps. Car face à la brutalité et la violence de la situation, à l'énormité des enjeux et des accusations, Anne Sinclair va déployer des trésors de patience et de diplomatie.
Quelques heures avant que la nouvelle ne tombe, la journaliste est à Paris dans l'appartement qu'elle possède place des Vosges. Elle se prépare à sortir passer une soirée chez son ami Patrick Bruel. Le portable de la journaliste sonne, c'est son mari. Il est en route pour l'aéroport. "Il y a un problème grave, lui dit-il, on en parle demain quand j'arrive..."
Anne Sinclair entre chez Bruel à 23h. Elle y retrouve une cinquantaine d'amis du chanteur qui lui ont fait une surprise alors qu'il rentrait après s'être produit sur scène au théâtre. "Anne est partie vers minuit, elle était en pleine forme et voulait se coucher tôt pour aller chercher Dominique à 6 heures à l'aéroport", expliquera après coup l'hôte de la soirée au Journal du dimanche. Il n'en sera pas ainsi.
À peine connue la nouvelle et alors qu'elle n'est même pas encore rentrée chez elle, des proches prennent en charge la journaliste. Leur mission : l'éloigner de ce quartier qui sera très vite cerné par les caméras et la protéger. Tous sont sous le choc. "En larmes", raconte à l'époque le JDD. Avant de suivre la consigne essentielle édictée par ses amis, dont certains sont des spécialistes de la communication de crise, et qui va consister à se terrer et à se taire, Anne Sinclair prend la parole, une seule fois. "Je ne crois pas une seule seconde aux accusations qui sont portées contre mon mari. Je ne doute pas que son innocence soit établie", écrit-elle dans un communiqué. Derniers mots avant des mois. Et une épreuve hors du commun à surmonter.
En 2008 déjà, l'ex-présentatrice de l'émission 7 sur 7 avait dû affronter la médiatisation de la liaison de son mari avec une jeune économiste hongroise du FMI, Piroska Nagy. Elle avait pardonné et écrit sur son blog: "Chacun sait que ces choses peuvent arriver dans la vie de tous les couples [...], Pour ma part, cette aventure d'un soir est déjà derrière nous; nous avons tourné la page; nous nous aimons comme au premier jour."
Le surlendemain des faits survenus au Sofitel, c'est une femme meurtrie mais combative qui atterrit à l'aéroport John F. Kennedy de New York. Les faits reprochés sont graves. Lorsqu'elle pose le pied aux Etats-Unis, DSK a déjà été emmené en prison. Sur les télévisions du monde défilent les images d'un homme au visage défait.
Pour que la libération de l'ancien ministre soit acceptée par la justice américaine, Anne Sinclair doit se plier à ces exigences: payer cash un million de dollars de caution, hypothéquer au plus vite sa maison de Washington afin de garantir un dépôt de 5 millions de dollars, trouver un logement qu'elle devra faire équiper, à ses frais, d'un système de vidéo-surveillance et embaucher une escouade de gardiens armés.
Dans le huis-clos de l'appartement de New-York, puis dans la maison où DSK est assigné à résidence, les journées sont longues. Enfermés dans ces prisons dorées, le couple dort beaucoup, parfois quinze heures par jour, aidés, nous dit Le Monde, par des calmants. Lui, stimule son cerveau en résolvant des problèmes mathématiques ou en jouant aux échecs. Elle envoie des mails à ses amis, comme cette missive : "C'est une prison, mais c'est moins grave parce qu'on est tous les deux". Ensemble, ils font du sport, entraînés par un coach ou regardent des polars américains dans la salle de cinéma. Des amis passent. "Anne donne le change, dit l'un d'eux, cité par Le Monde, mais elle ne sait plus quoi penser ni espérer. Elle est comme dans le tambour d'une machine à laver."
Pendant ce temps, en France des paroles se libèrent. Tristane Banon, longtemps cloîtrée dans son silence, choisit d'attaquer DSK pour tentative de viol. Quelques semaines plus tard, Marie-Victorine M., 38 ans, sort de l'ombre et affirme qu'elle a été pendant près d'une année la maîtresse de Dominique Strauss-Kahn. A peu près au même moment, la mère de Tristane Banon, Anne Mansouret, qui fut aussi l'amante de l'ancien directeur du FMI, décrit avoir eu avec lui une relation sexuelle "consentie mais brutale".
Afin de fuir ce torrent d'informations qui se déversent sur le compte de son époux, Anne Sinclair change d'air et s'accorde quelques jours dans le Massachusetts et une semaine au Canada. Mais elle continue de suivre tout ce qui se passe. Et gare à ceux qui vont trop loin dans leurs propos... Dans un entretien accordé au magazine Point de Vue, l'écrivaine Laure Adler, se présentant comme "l'une de ses meilleures amies" dresse un portrait psychologique du couple. La réponse d'Anne est cinglante. "J'ai demandé à mes amis de s'exprimer le moins possible. Tu nous connais si peu Dominique et moi. S'il te plaît, ne parle plus en notre nom." Pour l'heure, Anne Sinclair fait front, comme lorsqu'elle écrit ce texto à son mari. "N'oublions pas tous ceux qui nous ont craché à la gueule." Mais jusqu'à quand ?
Fin août, après d'innombrables rebondissements judiciaires, DSK récupère son passeport et peut quitter les Etats-Unis. Mais en France, une nouvelle épreuve attend le couple...
Deux mois avant l'affaire du Sofitel, le parquet a ouvert une procédure, soupçonnant des faits de proxénétisme qui se seraient déroulés à Lille. En 2011, des enquêteurs découvrent un réseau de prostitution lors de fêtes organisées dans des hôtels de luxe. En octobre, l'affaire éclate dans la presse. Le nom de Dominique Strauss-Khan apparaît. Une prostituée affirme l'avoir rencontré lors d'une partie fine à Paris, dans un duplex proche des grands magasins. La presse dévoile des SMS, dont celui-ci, qu'aurait envoyé DSK à l'un de ses amis : "Veux-tu (peux-tu) venir découvrir une magnifique boîte coquine à Madrid avec moi (et du matériel) ?" Nouvelle tempête.
L'homme demande à être entendu "le plus rapidement possible" par les juges, espérant qu'il "soit mis un terme aux insinuations et extrapolations hasardeuses et encore une fois malveillantes." Mais le mal est là. Encore. Et les premières rumeurs de séparation surgissent. Le couple y répond. Toujours uni... "Anne Sinclair et Dominique Strauss-Kahn nous ont donné les instructions les plus fermes de saisir la justice de ces débordements et les faire cesser ou condamner", déclarent dans un communiqué leurs avocats, accusant certains médias de "fantasmer en particulier sur les prétendues intentions ou les états d'âme allégués d'Anne Sinclair ou de Dominique Strauss-Kahn sous couvert d'hypothétiques déclarations de tiers courageusement dissimulés derrière un anonymat revendiqué".
Quelques semaines plus tard, début décembre 2011, "Symbole de courage et de ténacité face aux déboires judiciaires de son mari", Anne Sinclair est désignée femme de l'année 2011 dans un sondage CSA pour le magazine féminin en ligne Terrafemina... Une femme, qui va reprendre la parole, et son destin en main.
Alors que d'un point de vue professionnel, elle lance la version française du Huffington Post, elle accorde une interview au magazine Elle. "Je ne suis ni une sainte, ni une victime, je suis une femme libre !" clame-t-elle. Et lorsque nos consoeurs lui demandent si on peut-être à la fois féministe et dans un soutien inconditionnel à son mari, elle rétorque : "Le soutien inconditionnel, ça n'existe pas. On soutient si on a décidé de soutenir. Personne ne sait ce qui se passe dans l'intimité des couples et je dénie à quiconque le droit de juger du mien. Je me sens libre de mes jugements, de mes actions, je décide de ma vie en toute indépendance."
Le 26 mars 2012, à l'issue d'une audition de huit heures, Dominique Strauss-Kahn est mis en examen pour " proxénétisme aggravé en bande organisée " dans l'affaire du Carlton. Quelques jours auparavant, Anne Sinclair publiait 21 rue de la Boétie, un livre hommage à son grand-père. Aucune allusion aux diverses affaires dans ces pages. Interrogée par Le Parisien au moment du lancement, son auteur se contente de répéter que "les limites du voyeurisme et de l'inquisition ont été franchies." Mais si en apparence, le soutien reste indéfectible, en réalité, le couple vit ses derniers moments. À l'image de la soirée anniversaire de leur ami Julien Dray à laquelle ils se rendent ensemble le 28 avril. L'une des dernières apparitions du couple.
Le 30 juin 2012, Closer sort l'information : "Anne Sinclair : elle a enfin quitté DSK." Selon le magazine, la journaliste aurait demandé à son mari de quitter l'appartement conjugal. Fidèles à leur ligne de conduite, l'homme politique et sa femme attaquent aussitôt l'hebdomadaire pour atteinte à la vie privée. Reste que les faits sont avérés, confirmés par plusieurs sources, et par un proche de DSK à l'AFP quelques jours plus tard.
Pas question pour autant de la part d'Anne Sinclair de s'épancher. "Comment va votre vie personnelle depuis votre séparation d'avec Dominique Strauss-Kahn ?", l'interroge Le Parisien deux mois plus tard. Réponse : "J'ai bonne mine, j'ai pris des vacances, je retravaille durement, je suis à fond sur les élections américaines". Puis, cette conclusion, laconique : "Je vais très bien, merci". Circulez, il n'y a rien à voir.
Le silence va durer 9 ans ! Jusqu'à la sortie de son livre Passé Composé, début juin 2021. Peu avant, Anne Sinclair en fait la promotion dans différents médias. Enfin, sa parole est libre. Mais toujours respectueuse de l'homme qu'elle a aimé.
"Quand on est dans une bagarre, on fait face, explique-t-elle au Parisien. On ne détale pas au premier accroc, même si c'est plus qu'un premier accroc. Après, on se retourne et on se dit ouh là... Moi, j'ai décidé de tenir et lorsque je n'ai plus pu tenir, j'ai souhaité partir. Mais je ne voulais pas que cela se fasse en pleine tourmente. Au départ, dans cette histoire de New York, je n'avais pas de raison de ne pas croire ce que mon ex-mari disait et de trouver que tout cela était d'une grande violence".
Quelques jours après, interrogée par Paris Match, elle assure : "Je voudrais que les gens me croient, aussi fou que cela puisse paraître, et malgré tout ce qu'on a raconté sur moi, je ne savais rien... " "-Vraiment rien? demande la journaliste de Paris Match. Aucune compromission, aucune soirée échangiste, comme le Tout-Paris l'a si longtemps murmuré?" "-Tout cela m'est étranger, comme ces liaisons que j'ai découvertes après", répond Anne Sinclair.
"Avec le recul, écrit-elle dans son livre, j'ai réalisé quelle forme de dépendance me liait à Dominique, (...) On appelle cela l'emprise. Elle peut être d'ordre sexuel, intellectuel, elle était pour moi d'ordre affectif." Une affection qui se serait définitivement envolée lorsque la journaliste aurait découvert les dessous de l'affaire du Carlton, les sms, notamment qu'aurait envoyé son mari à ses amis. "La crevasse était abîmée. Les nouvelles affaires en France s'enfonçaient dans la gadoue, la souillure. Elles achevèrent de mettre en pièces ce qui demeurait de notre couple", conclut Anne Sinclair, qui a depuis refait sa vie avec Pierre Nora.
Le 10 décembre 2012, la justice américaine avait validé la transaction entre DSK et Nafissatou Diallo et en avait annoncé la confidentialité. L'affaire était close. Le 12 juin 2015, le tribunal correctionnel de Lille avait relaxé Dominique Strauss-Kahn dans l'affaire du Carlton. Fin des affaires. Fin d'une histoire.