Rencontrée dans le cadre luxueux de l'hôtel Peninsula dans le 16e arrondissement de Paris, Emma Luchini déborde de passion pour son métier. A l'image de son père, Fabrice, elle est loquace, captivante et charmante lorsqu'elle est lancée sur un sujet qui lui tient à coeur. Parler de sa nouvelle réalisation, Un début prometteur avec Manu Payet dans le premier rôle, et de 7e Art, en est la preuve. Rencontre avec une cinéaste chaleureuse qui a eu le plaisir d'adapter le roman de son compagnon Nicolas Rey et de diriger son propre père.
Emma Luchini aurait pu être actrice comme son père, mais quand on lui pose la question, elle est catégorique : "Ah non ! Je suis pas du tout bonne pour ça. J'ai fait de la figuration, d'accord, mais je suis très timide. Même quand mes amis me prennent en photo avec leur téléphone, ça m'intimide ! [rires] Je voulais être écrivain au départ, et j'ai bifurqué vers la réalisation. D'un coup, j'ai eu une crise d'humilité face aux écrivains que j'admire - que je n'ai pas eue avec les réalisateurs que j'apprécie aussi, étrangement, et il y en a beaucoup. C'était comme écrasant et je me suis dit que je n'assume pas de passer après Dostoïevsky, Henry James, Phillip Roth... Je ne sacralise pas le cinéma, c'est un terrain où je me sens capable d'agir. Je n'ai aucune prétention, il y a des réalisateurs qui m'impressionnent, mais dans la littérature, ça me paralyse, voilà ce qui a fait la différence."
Adapter, c'est trahir.
Comment est né Un début prometteur ? "J'ai rencontré Nicolas Rey, qui m'a fait lire son livre. Je connaissais déjà son travail, mais pas celui-là. Je suis tombée amoureuse de son roman. Je lui ai dit : 'Il faut absolument qu'on fasse l'adaptation.' J'ai lâché le scénario que j'écrivais car j'ai eu un coup de foudre, une évidence tout d'un coup." L'auteur a su offrir son regard, tout en n'étant pas omniprésent : "Il y a des scènes qu'il a écrites. On a beaucoup discuté, il a lu. Je ne dirais pas que c'était une écriture à quatre mains, mais il était là pendant tout le processus."
Emma Luchini n'a pas été angoissée à l'idée de s'attaquer à l'adaptation du livre d'un proche : "Il m'a mise tout de suite à l'aise en me disant : 'Faire une bonne adaptation, c'est trahir. Donc, trahis moi.' Donc je l'ai fait encore plus décomplexée. Mais je crois que je l'aurais fait quoi qu'il arrive, car le processus de travail l'oblige. Sinon, on n'arrive à rien faire. J'ai gardé la veine première du roman, mais la dramaturgie change un peu."
Manu Payet s'est impliqué corps et âme pour le rôle de Martin, comme il nous l'a confié. "Il a été la première personne que j'ai choisie puisque Martin est la pierre angulaire du récit. Le ton du film est celui de Martin, mélancolique et avec du panache. J'ai cherché quelqu'un qui soit dans la légèreté, et donc j'ai plutôt pensé à des comiques. Pas à Nicolas Rey lui-même, car je voulais quelqu'un qui se démarque de lui. Je voulais garder une certaine distance, c'est sincère mais sans pathos. Et quand j'ai vu Manu, c'était une évidence. Et Nicolas était ravi, il est passé sur le tournage et quand il l'a vu, il m'a dit : 'Tu avais raison.'"
"J'ai mis du temps à trouver le personnage de Mathilde. Et d'un coup, j'ai appris que Veerle Baetens parlait français. Comme j'ai été subjuguée par elle dans Alabama Monroe, je trouvais qu'elle fonctionnait parfaitement avec tous les personnages, dans la peau de cette femme insaisissable, sensuelle, à la fois féminine et virile. Et mystérieuse avec son accent indéfini."
Quant au jeune Zacharie Chasseriaud : "C'est ma directrice de casting qui m'en a parlé. J'avais vu plusieurs jeunes, j'en avais gardés deux, et on a fait un bout d'essai avec Manu avec Zacharie et au bout d'une demi-heure ils étaient déjà frères."
C'est beaucoup plus simple et rapide qu'avec plein d'autres.
Diriger Fabrice Luchini, son père : "Je cherchais le personnage, j'ai fait une liste d'acteurs français de la soixantaine, et puis en fait, j'ai pensé que mon père répondait à mes critères. C'est un acteur formidable, on va tenter, on ne sait jamais. Il a dit oui." Tourner avec lui était-il compliqué ? "C'est beaucoup plus simple et rapide qu'avec plein d'autres. Parce qu'on se connaît, on a des référents en commun, des sensibilités communes, c'est important pour donner des directions personnalisées. Je ne me suis jamais posé la question de 'diriger mon père', j'avais un peu peur, plus par rapport à son expérience, son énorme carrière, de tous les metteurs en scène qu'il a côtoyés, ça, ça m'impressionnait. Mais ce n'était pas le côté père, parce que c'est plutôt joyeux."
Emma Luchini ne s'étendra pas sur leur relation père-fille qui est atypique, mais elle parlera de leur vision du cinéma : "On est tous les deux de grands amateurs de comédiens. On peut regarder des films pas très bien, juste parce ce qu'il y a de bons comédiens. Je pense qu'il m'a transmis ça. Ecouter les acteurs, être sensible à leur jeu. Après, j'aime beaucoup plus le cinéma que lui." Et le film de son papa qu'elle préfère, La Discrète : "J'adore ce film. C'est lui qui l'a propulsé. J'avais 11 ans et je l'ai regardé 100 fois. Alors que ses autres films, j'en ai un peu rien à foutre [rires]. Je l'ai revu et ça tient."
On peut s'ébahir devant la carrière de son père, mais Emma Luchini a remporté, comme lui, un César. En février dernier, elle a obtenu ce prix pour son court métrage La Femme de Rio, dans lequel Nicolas Rey joue, d'ailleurs. Elle n'y a pas cru lorsque son nom est sorti, imaginant que c'était une erreur : "Je ne me suis pas tellement arrêtée à ça, c'est mon premier diplôme, j'en ai jamais eu donc c'est chouette, mais j'ai une philosophie que j'essaie de tenir : c'est de pas donner trop d'importance à tout ce qu'il y a autour du travail. Ce que les gens disent... Si on donne autant de poids à ça quand c'est bien, on en donnera autant quand ce sera négatif et ça fera encore plus mal. Je ne veux pas me fragiliser et je veux continuer à avancer, à faire mieux, à progresser, je n'ai pas tellement 'buggé' sur cette histoire de César."
Un début prometteur, en salles le 30 septembre