Mathieu Kassovitz explique enfin son coup de colère contre le cinéma français
Publié le 10 février 2012 à 17:06
Par Geoffrey C.
Mathieu Kassovitz en pleine promotion de La Vie d'une autre sur TPS Star, revient sur L'Ordre et la morale.
Une affiche de L'Ordre et la morale.
L'affiche de La Haine (1995)
L'affiche de Babylon A.D. (2008)
L'affiche d'Assassin(s) (1997)
La suite après la publicité

Lors de la présentation de La Haine au Festival de Cannes en 1995, Mathieu Kassovitz s'était retourné vers un photographe pour lui adresser un doigt d'honneur devenu célèbre. Depuis, le réalisateur a clairement expliqué avoir répondu à une insulte, mais sa réputation était déjà scellée. Et par la suite, cette relation compliquée avec les médias et les institutions est devenue un leitmotiv de sa carrière.

Deux ans après La Haine, Mathieu Kassovitz était de retour à Cannes avec Assassin(s), une histoire de tueurs déséquilibrés, élu scandale du Festival et décrit comme "le film le plus nul de l'histoire du cinéma" par Le Figaro. Reconverti dans le cinéma mainstream, le réalisateur décroche le succès public avec Les Rivières pourpres et s'envole vers les Etats-Unis pour réaliser Gothika, une série B avec Halle Berry.

Le rêve hollywoodien s'écroule quelques années plus tard avec Babylon A.D., un blockbuster ambitieux dont le contrôle artistique lui échappe totalement. À la sortie du film, Kassovitz ne joue pas le jeu des studios et hurle sa colère dans les médias - l'incroyable making-of Fucking Kassovitz laisse entrevoir le cauchemar du tournage.

Pendant tout ce temps, il travaillait sur L'Ordre et la Morale, un film sur la prise d'otages de l'île d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie, survenue pendant les élections présidentielles de 1988. Dix ans après avoir entamé l'écriture du scénario, Mathieu Kassovitz parvient à concrétiser le projet, non sans provoquer la colère des politiques avant même que ces derniers aient vu le film. Mais là encore, le mal est déjà fait : avec 150 000 spectateurs, L'Ordre et la Morale est un échec cinglant.

Naturellement heurté par l'accueil glacial réservé à un vrai film marquant, Mathieu Kassovitz a brisé le silence lors de l'annonce des nominations aux César, où son film a récolté une petite nomination comme meilleur scénario adapté. Très remonté, le réalisateur lâchait sur Twitter : "J encule le cinéma français. Allez vous faire baiser avec vos films de merde (...) Je m en fout des césars. Je n'y ai jamais mis les pieds. Je suis juste choqué par le manque d intérêt." Alors que ses propos provoquaient un tollé, il tentait de calmer l'affaire : "Je vois que cette histoire vous tracasse. Je tenais m excuser et à préciser... j éculé [sic] le cinéma français oui... Mais pas tous. Pas Testu par exemple ;) ni Jan. Ni Gaspard, Hazanavicius, Boukrief, Vestiel, Gavras..." avant de clore le sujet par un "Narcissique et prétentieux. Je le suis. Je l affirme. Je vous emmerde. Bonne journée".

Forcé de faire un retour sur le devant de la scène en tant qu'acteur de La Vie d'une autre, Mathieu Kassovitz est revenu sur l'échec de son film et son absence des César lors d'une interview sur TPS Star : "Ce n'était pas douloureux, pas du tout. Sérieusement. Je trouve que c'est un film assez fort, compliqué à faire et qui est un film très français. Que le public n'y aille pas, pour différentes raisons, je n'ai aucun problème... Je comprends que les gens n'aient pas envie de voir ça. (...) Mais que l'industrie ne comprenne pas que ce genre de films doit faire partie du panel du cinéma français, je trouve ça un petit peu difficile."

Après s'être lui-même défini comme narcissique, Kassovitz attaque le fond du problème : "Ça n'a rien à voir avec la qualité des films, mais je trouve que dans l'ensemble du cinéma français, on manque d'une ambition très simple qui est celle du cinéma." Loin de se retrouver dans les choix de l'industrie du cinéma français, Mathieu Kassovitz exprime sa déception devant un panel cinématographiquement "pauvre" qui hésite entre les pâles copies de films américains et des oeuvres proches du téléfilm.

En outre, il déplore le manque d'opportunités créatives offertes aux techniciens français, très doués : "On travaille dans des tout petits groupes, on retrouve les mêmes acteurs dans les mêmes films faits par des copains... Je trouve que cette partouze artistico-commerciale n'est pas excitante. Et j'en suis extrêmement malheureux." Présente à ses côtés, Sylvie Testud explique qu'elle comprend la colère de son partenaire et parle elle aussi de cette malédiction des "familles de cinéma".

Car deux mois après la sortie de L'Ordre et la Morale, Mathieu Kassovitz va au-delà de son film : "Je suis malheureux pour les investisseurs qui ont travaillé sur le film, les producteurs qui ont pris le risque de mettre 11 millions sur un sujet très difficile... Si l'industrie ne reconnaît pas que ce film - même s'il n'a pas rentré d'argent - est important, il n'y en aura plus. (...) Je parle pas de moi, je parle de ce style de cinéma. (...) Maintenant, ça va être difficile pour les jeunes de faire ce genre de film."

D'ailleurs, il assure qu'à l'heure actuelle, un film comme La Haine ne pourrait plus exister : "Si je voulais faire La Haine 2, je ne pourrais pas. Impossible. Personne ne voudrait mettre le doigt dedans ! Et si on allait jusqu'au bout, je ne suis même pas sûr que le film sortirait parce que les distributeurs diraient 'Je ne veux pas de ce public dans nos salles'. (...) Le spectateur mérite mieux, désolé je ne veux pas être insultant."

Au-delà de son film, Mathieu Kassovitz critique avant tout un système "vérolé" qui empêche les jeunes talents d'émerger et les films hors norme d'exister. Calmé, il laisse entendre qu'il saura trouver sa place ailleurs, mais qu'il souhaitait exprimer sa colère pour ne pas se laisser gober par le système sans dire un mot.

Persuadé que L'Ordre et la Morale est définitivement enterré, il assure que le film ne trouvera plus son public. C'est certainement sur ce dernier point qu'il a véritablement tort.

L'Ordre et la Morale sortira en DVD le 18 avril.

Geoffrey Crété

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